Installer des points de nourrissage pour la faune sauvage dans son jardin ou sur son balcon est devenu, pour beaucoup, un geste traditionnel lors de l’entrée dans l’hiver. Or, cette initiative est loin d’être anodine et plusieurs études scientifiques pointent du doigt ces effets délétères. Le nourrissage, dispositif indispensable ou cadeau empoisonné pour la faune ?
Pourquoi installer un point de nourrissage ?
Dans l’article « Nourrir les oiseaux en hiver« , nous avions déjà évoqué les différentes raisons pour lesquelles installer un point de nourrissage lorsque les températures diminuent :
- Les conditions météorologiques plus difficiles compliquent la recherche de nourriture. Les insectes disparaissent, le gel et la neige empêche un accès aisé au sol.
- La durée du jour diminue : cela laisse moins de temps aux oiseaux pour rechercher de la nourriture. Pour survivre aux nuits froides, ils doivent donc trouver un maximum de nourriture en très peu de temps.
- Beaucoup d’espèces d’oiseaux sont impactées par les activités humaines: destruction/fragmentation de leurs habitats, rénovation de bâtiments les empêchant de nicher, impact de l’utilisation massive de pesticides sur leur source de nourriture…En survivant à l’hiver, les oiseaux pourront ainsi se reproduire au printemps suivant, consolidant un peu plus la santé parfois précaire de leur population.
- Nourrir des oiseaux durant l’hiver permet également de faire de jolies observations quotidiennes ! S’ils sont plus discrets lorsqu’ils élèvent leurs petits et durant l’été, l’hiver est la période idéale pour les voir se rassembler sur des zones d’alimentation. Installer un poste de nourrissage dans son jardin assure bien souvent un spectacle quotidien !
Installer un ou plusieurs points de nourrissage dans le jardin présente donc des avantages pour la faune mais également pour notre propre bien-être. Une étude a en effet montré qu’être entouré d’oiseaux avait des effets bénéfiques sur le bien-être émotionnel, des bienfaits qui pouvaient durer jusqu’à huit heures !
Les bénéfices du nourrissage pas toujours établis
Plusieurs éléments récemment mis en avant par plusieurs études scientifiques incitent à la prudence quant au nourrissage de la faune sauvage. Tout d’abord, mettre de la nourriture à disposition des oiseaux favorise la concentration de nombreux individus à un même endroit, ce qui augmente la probabilité de propagation de maladies. Ainsi, les centres de soins accueillent chaque année à la même période des oiseaux, en particulier des fringilles et des columbidés, ayant contracté la trichomonose, la salmonellose ou la poxvirose. Pour ne rien arranger, des études scientifiques complémentaires se sont également rendus compte que les rassemblements d’oiseaux aux mangeoires favorisent l’évolution de souches pathogènes plus nocives à plus long terme.
En plus du risque de transmission de maladies, la qualité des aliments mis à disposition dans les mangeoires interroge de plus en plus. En effet, les pains et boules de graisse que l’on trouve dans le commerce présentent une qualité nutritionnelle inadaptée pour des oiseaux sauvages. Il s’agit de l’équivalent de notre junk food ! Faible valeur nutritionnelle, graines présentant des teneurs en pesticides trop élevées…le nourrissage devient alors contre-productif lorsque les aliments proposées sont de mauvaise qualité. Pourtant, il s’agit de la majorité des produits proposés dans le commerce car ils sont plus abordables que des graines bio, pourtant bien plus adaptées.
Et les oiseaux ne sont pas les seules espèces concernées ! Le nourrissage du Hérisson d’Europe est de plus en plus répandu, notamment parce qu’il s’agit d’une espèce à fort capital sympathie. Or, les croquettes et pâtées proposées dans le commerce, produits dont le conditionnement est aisé, ne correspondent pas au régime alimentaire du Hérisson.
Enfin, installer des points de nourrissage dans son jardin a souvent pour effet délétère d’attirer les prédateurs, tels que les chats domestiques, qui observent aux mangeoires une concentration de proies. Comme vous pouvez le constatez dans la vidéo ci-dessous, j’ai filmé l’intrus qui s’installe tranquillement chaque jour en dessous de la placette d’alimentation, m’obligeant à cesser de l’approvisionner, sous peine d’y voir quelque oiseau croqué.
Des espèces qui s’adaptent ?
Le nourrissage des oiseaux est un geste loin d’être anodin et c’est la science qui le dit. Ainsi, une étude datant de 2017 a mis en évidence des différences génétiques entre la taille des becs de mésanges britanniques, où le nourrissage des oiseaux des jardins est très répandu, et des mésanges hollandaises. Cette évolution n’est apparu qu’en quelques années seulement.
La compétition entre espèces pour l’accès à ces ressources supplémentaires est également un problème. Toutes n’y ayant pas accès aussi facilement, certaines populations d’espèces sont favorisées, souvent les plus adaptables, au détriment d’autres. Le nourrissage pourrait ainsi induire une homogénéisation des communautés.
Enfin, la présence systématique de points de nourrissage généreusement alimentés sur de longues périodes pourrait freiner le comportement nomade de certaines espèces. Pourquoi poursuivre un épuisant voyage quand des ressources alimentaires sont facilement accessibles ? Or, des oiseaux qui ne migrent plus, ou moins loin, sont des individus qui prennent une place dans un écosystème, au détriment d’autres oiseaux hivernants.
Pour résumer, tout est une question de (fragile) équilibre et on se rend compte aujourd’hui que le nourrissage semble perturber un fonctionnement écologique bien établi.
Nourrir…avec précautions
Il ne s’agit pas de bannir le nourrissage des oiseaux car, nous l’avons vu plus haut, leur présence est une source d’amélioration du bien-être. Cependant, il faut garder à l’esprit l’ensemble des risques que comporte cette pratique afin d’adopter les bons gestes.
- Privilégiez des produits de qualité, sans pesticides ni toxines.
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Installez plusieurs points de nourrissage afin d’éviter la concentration des individus. Ils doivent tous être impérativement inaccessibles aux prédateurs, comme le chat.
- L’hygiène des mangeoires et coupelle d’eau doit être irréprochable. Il est préférable de ne rien installer si on n’est pas certain de pouvoir s’astreindre à une telle discipline.
- Le nourrissage est utile uniquement lorsque les conditions météorologiques empêchent les oiseaux d’accéder à des ressources alimentaires (gel, neige).
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Plus important que le nourrissage : un jardin accueillant pour la faune toute l’année ! Préserver les haies, planter des végétaux mellifères, préserver des zones en friches favorisant l’accueil des insectes, bannir tout produit chimique…tous ces gestes sont essentiels pour préserver la faune commune de nos jardins et la bonne santé du fonctionnement de l’écosystème.
Vous souhaitez en savoir plus sur cette thématique ? Retrouvez plusieurs articles du Bird-Blog en cliquant sur les vignettes ci-dessous :
Et faites le plein de conseils en vidéo grâce au numéro dédié de la série « Colocataires sauvages » de la LPO !
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Sources et recommandations :
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- Photographies (dans l’ordre d’utilisation) : Bonnie Kittle, Edoardo Busti, Hans-Olof Andersson, Lidia Stawinska,
- Sites web : www.lpo.fr
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Image à la Une : Annie Spratt