Cette semaine, on s’intéresse à un sujet passionnant et à une structure étonnante dans l’évolution. Commençons avec une question : connaissez-vous la partie constitutive d’un oiseau qui fait de lui cet être unique dans le règne animal ?
« Euuuh…AH! Je sais, je sais ! Le bec ! »
Non. Les ornithorynques en ont un.
« Ils peuvent voler ! En faisant comme ça ! »
On se rapproche. Ils volent grâce à des ?? A des ??
« Des nageoires !! »
Raté !
Si les oiseaux peuvent voler, c’est grâce à un élément de leur anatomie unique dans l’histoire de l’évolution, j’ai nommé, la plume !
Une structure unique
La plume d’un oiseau naît à partir d’un petit épaississement de la peau, appelée « placode » et grandit par prolifération cellulaire. Elle est composée à 80% de kératine, une protéine qui constitue également les poils des mammifères. La seule différence entre les deux ? L’agencement des molécules constitutives. Les poils de mammifères sont composés d’alpha-kératine et les plumes des oiseaux de béta-kératine, que l’on retrouve également chez les reptiles. La kératine est une protéine particulièrement intéressante pour les oiseaux car ses propriétés hydrophobes protègent l’oiseau de l’eau. Les 20% restant sont constitués de composés azotés et soufrés.
La répartition des plumes
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, à l’exception de certaines espèces comme les manchots, les oiseaux n’ont pas des plumes sur tout le corps mais uniquement sur certaines zones, appelées les ptérylies. Les zones sans plumes sont, quand à elles, dénommées les aptéries. La localisation et l’étendue des ptérylies sont propres à chaque espèce, codées dans le patrimoine génétique des oiseaux. Chez la majorité des espèces, les ailes sont couvertes de ptérylies.
Les oiseaux ont plusieurs sortes de plumes sur le corps, en fonction de leur rôle. Ainsi, le duvet est constitué de plumes très fines mais à fonction isolante car elles sont regroupées en nombre.
Les plumes de contour, ou « pennes », sont beaucoup plus longues et rigides. Elles comprennent les plumes de vol (appelées rémiges), les plumes de la queue (les rectrices) et les plumes du corps (les tectrices). Si la quantité de tectrices peut varier, le nombre de rémiges et de rectrices ne varient généralement pas. Elles s’organisent selon un plan rigoureux qui sera identique pour tous les individus d’une même espèce.
Troisième type de plumes : les filoplumes, semblables à des poils touffus aux extrémités. On ne peut les voir que par une observation très attentive du plumage, parmi les plumes de contour. Si on ne connait précisément leur rôle, on pense qu’elles auraient une fonction sensorielle. Elles pourraient renseigner l’oiseau sur la position des plumes de contour près desquelles elles sont implantées. Cette fonction serait notamment utile lors de la toilette, aidant l’oiseau à correctement repositionner les plumes.
Dernier type de plumes, que l’on ne retrouve pas chez tous les oiseaux : les vibrisses. On peut observer ces longs poils raides le plus souvent autour des yeux mais également autour du bec, comme c’est le cas chez les rapaces nocturnes ou les engoulevents. Elles auraient alors une fonction tactile, notamment lors de la capture de proies.
Généralement, la plus forte densité de plumes se trouve au voisinage de la tête. Ainsi, chez le Cygne tuberculé, sur les 25.000 plumes de son corps, 80% se situe sur le cou et la tête ! Cette observation est logique : les plumes situées à cet endroit du corps sont très petites, afin d’assurer efficacement leur rôle, elles doivent donc être très nombreuses. De manière générale, les oiseaux aquatiques ont une densité de plumes plus importante que les autres oiseaux. Ce plumage dense joue en effet un rôle essentiel dans la protection thermique pour des espèces qui passent la journée dans l’eau. Chez les canards, selon qu’ils soient plongeurs ou non, le nombre de plumes change. Ainsi, le Colvert, canard de surface, présente environ 130 plumes par cm² sur le ventre alors que ce nombre atteint 185 plumes/cm² chez le Fuligule morillon. Enfin, le nombre de plumes n’est pas constant tout au long de l’année. En hiver, les plumages s’enrichissent de quelques centaines de plumes afin de supporter une saison rigoureuse.
Des fonctions essentielles
En plus de lui permettre de voler, le plumage d’un oiseau a plusieurs fonctions primordiales pour sa survie :
– La protection contre les agressions de l’environnement, notamment les frottements lors des déplacements dans l’air ou dans l’eau.
– L’isolation thermique, grâce à la présence d’une couche d’air entre la peau et les plumes. Il permet le maintien de la température corporelle de l’oiseau ainsi que de ses œufs et des poussins en période de reproduction.
– Le camouflage, lorsque le plumage est de couleur discrète. Ainsi, le plumage cryptique de l’Engoulevent d’Europe lui permet de se confondre avec les bois morts et la végétation sur lesquels ils se couchent au sol.
– La communication, soit une fonction sociale déterminante pour les oiseaux. Chaque espèce présente une combinaison de couleurs spécifique qui permet la reconnaissance entre individus. Le plumage permet également l’identification sexuelle chez les espèces présentant un dimorphisme sexuel. Il joue un rôle également dans de nombreuses séquences de la vie de l’oiseau : parade nuptiale, défense du territoire, agressivité… Enfin, des sons peuvent être produits non par la voix mais par les plumes. Ainsi, lors de sa parade nuptiale, la Bécassine des marais émet une sorte de vibration par le glissement de l’air sur les plumes de la queue.
C’est pour toutes ces raisons que les oiseaux se doivent de garder leur plumage en excellent état. Ils y consacrent plusieurs heures par jour afin de le nettoyer de toute impureté. Ils le nettoient de bien des façons, généralement en se baignant puis en s’ébrouant afin d’évacuer l’eau de leurs plumes. Les bains de poussière éliminent également les impuretés. Plus original: les bains de fourmis ! L’oiseau peut capturer une fourmi et l’appliquer sur ses plumes ou, plus rapide, se coucher sur une fourmilière. On retrouve ce comportement chez les pics, les grives ainsi que chez de nombreux Corvidés. Il est difficile d’expliquer précisément l’intérêt de ce comportement. Il semblerait que l’acide formique produit par les insectes permettrait d’éliminer les parasites. Pour l’entretien du plumage, les oiseaux utilisent la sécrétion huileuse produite par la seule glande cutanée qu’ils possèdent : la glande uropygienne. En plus de préserver la qualité et la souplesse des plumes, elle fournit à l’oiseau de la provitamine D qui sera ensuite convertie en vitamine D lors de l’exposition au soleil.
Ces fonctions essentielles expliquent pourquoi le plumage représente entre 5 et 10% de la masse totale de l’oiseau.
Une étape essentielle : la mue
Parce qu’un plumage impeccable est indispensable à la survie, chaque oiseau renouvelle ses plumes plusieurs fois par an : on dit qu’il mue. Une plume dont la croissance est terminée est une plume morte. Elle va donc s’user et s’abîmer au cours du temps du fait des frottements.
Le déroulement de cette phase essentielle dans le cycle de vie d’un oiseau est caractéristique d’une espèce, voire de son groupe. Le déroulé précis est déterminé génétiquement. Bien qu’il s’agisse d’un procédé complexe et très énergivore, c’est un rituel immuable et régulier dans la vie des oiseaux. Les mues sont dépendantes de la production d’hormones par l’hypophyse, production principalement déterminée par la durée du jour. Elles ne peuvent en effet pas se dérouler à n’importe quel moment de la vie de l’oiseau, sous peine de menacer sa survie. Difficile de résister aux températures négatives de l’hiver lorsque l’on perd tout son duvet…
Si chez les mammifères, un nouveau poil va pousser à côté de l’ancien, chez les oiseaux, le procédé est différent : la nouvelle plume pousse dans le même follicule que la précédente, ce qui provoquera sa chute. Un même follicule peut donc produire différents types de plumes : une plume de duvet (à la naissance), une plume de plumage internuptial et une plume de plumage nuptial.
Il existe plusieurs stratégies concernant le processus de la mue, stratégies correspondant au mode de vie des oiseaux. Ainsi, les espèces aquatiques (Anatidés, grèbes, grues, râles…) perdent toutes leurs plumes de vol en même temps. Incapables de voler et donc très vulnérables, ils se rassemblent alors sur des plans d’eau tranquilles pour mieux faire face à d’éventuels prédateurs. Certaines espèces telles que le Tadorne de Belon effectue une migration spécifique sur de grands îlots côtiers ou en haute mer, où les prédateurs sont tenus à distance. Si le Tadorne de Belon choisit la mer des Wadden, de nombreux cygnes tuberculés ont fait du bassin d’Arcachon un repère de choix pour effectuer leur mue. Il faudra environ 25 jours à un canard pour pouvoir de nouveau voler, presque 30 jours pour un grèbe et entre 40 et soixante jours pour un cygne.
A l’inverse, les rapaces ne peuvent se permettre de longues périodes sans voler : ils ont besoin d’aller chasser pour se nourrir. Leurs plumes de vol vont alors tomber selon une séquence très précise, ce qui est le cas chez la majorité des espèces. Généralement, la mue s’effectue de l’intérieur vers l’extérieur, les rémiges primaires étant remplacées, une à une, en premier jusqu’aux rémiges primaires distales. Ce mode de fonctionnement assure que chaque plume pousse à l’abri d’une non-muée : ainsi, l’aile est certes « trouée » mais le vol est encore possible.
Il existe plusieurs schémas de mues. Ainsi, certains oiseaux comme le Pigeon ramier sont capables de suspendre leur mue le temps de leur voyage migratoire. Elle reprendra une fois arrivé sur le site d’hivernage. D’autres, comme le Martinet noir, peuvent l’arrêter complètement si les circonstances (ressources alimentaires, approche du départ en migration…) l’exigent. La mue reprendra alors au point de départ, phénomène qui provoque la coexistence de plusieurs générations de plumes sur une même aile.
Si les oiseaux muent avec soin après la saison de reproduction, une période qui abîme les plumes, avant le départ pour les sites d’hivernage, ils peuvent également procéder à une mue printanière, généralement plus « light ». De nombreuses espèces ne passent pas du tout par cette étape, d’autres procèdent au contraire à une mue indispensable. Ainsi, le Lagopède alpin troque sa livrée blanche qui le camoufle si bien en hiver dans les pentes enneigées pour un plumage plus discret, similaire à la couleur des éboulis rocheux qu’il fréquente au printemps.
Pour la mue printanière, les passereaux comme les pinsons ont opté pour la technique du moindre effort. Leur mue postnuptiale, en automne et en hiver, va concerner l’ensemble des tectrices. Les plumes présentent déjà les couleurs nuptiales mais elles sont bordées de beige ou de brun. Au fil du temps, les plumes s’abîment et la frange de plumes brunes assurant la discrétion s’émousse. Les couleurs du plumage nuptial beaucoup éclatantes vont alors ressortir plus nettement et jouer leur rôle dans la communication. Un changement de plumage qui ne leur aura donc coûter aucune énergie !
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Sources et recommandations :
- « La vie des oiseaux« , L.Couzi et L.Lachaud, Editions Sud-Ouest
- Image à la Une : freestocks.org