Suite à la dernière décision du Conseil d’Etat concernant trois arrêtés, intéressons-nous à ces chasses dites « traditionnelles ». Le premier numéro s’intéressait au Bruant ortolan, dont je reparlerais un peu plus loin, et le deuxième numéro aux oies cendrées. Voyons en quoi consistent ces chasses et pourquoi elles ont fait l’actualité.
La chasse à la matole
Je l’évoquais dans l’article le Bruant ortolan, la chasse à la matole est pratiquée dans le sud-ouest de la France. La matole est une petite cage grillagée. Elle piège l’oiseau lorsque, attiré par quelques graines de millet et le chant d’un appelant, celui-ci fait tomber la tige de fer qui retenait la matole. Les cages sont posées au sol ou accrochées à des tuteurs.
Dans les départements de Gironde, des Landes, de Lot-et-Garonne et des Pyrénées-Atlantiques, cette technique de chasse est autorisée pour les alouettes des champs. L’emploi « d’appelants vivants non aveuglés et non mutilés et de l’espèce alouette des champs uniquement » y est autorisé.
Or, ces pièges ne sont pas sélectifs. Et surtout, certaines espèces d’oiseaux sont particulièrement recherchées, bien que protégées par la loi, toujours au nom de la « chasse traditionnelle ». Ainsi, le Bruant ortolan ou le Pinson des arbres se retrouvent régulièrement capturés dans ces matoles.
Et qu’en font les braconniers, me direz-vous ? Ils les consomment ! Le Pinson des arbres, espèce protégée depuis 1976, est cuisiné frit, en brochette ou en omelette. Le Bruant ortolan quant à lui, fait l’objet de toute un cérémonial de dégustation. Cet article de 2014, où des chefs étoilés faisaient part le plus sérieusement du monde de leur indignation à ne pouvoir servir à leurs clients des espèces d’oiseaux protégés nous apprend que l’oiseau se vend encore 150€ au marché noir. En 2014, il y avait donc encore preneur…
La chasse aux pantes
Autre moyen de chasser les alouettes (qui ont décidément inspiré bien des systèmes tordus pour les capturer) : les pantes. Il s’agit de longs filets horizontaux disposés en vis-à-vis. Une installation comporte deux filets, une cabane où se cachent les « pantayres » (les chasseurs qui pratiquent cette chasse) et un appelant vivant, installé avec une entrave à la patte, entrave elle-même reliée à la cabane.
Depuis sa cabane, le chasseur utilise un sifflet afin d’attirer les oiseaux en vol. Une fois que ceux-ci se rapprochent des pantes, le chasseur manipule le dispositif permettant de faire voleter l’appelant vivant. Lorsque les alouettes sont posées au sol, les filets se referment d’un coup sur les oiseaux.
Illustration en images (âmes sensibles, passez votre chemin)…
La chasse à la tendelle
Dans le Top 10 des systèmes cruels pour tuer un oiseau, la tendelle me semble définitivement en tête de liste. Voyez plutôt l’ingéniosité du système: prenez une grosse pierre plate, maintenue soulevée grâce à des brindilles. Attiré par quelques baies, l’oiseau fait tomber les brindilles et…PAF l’oiseau.
Sont concernés par cette chasse dite « traditionnelle » les turdidés soit la famille des grives et des merles, plus particulièrement le Merle noir et les quatre espèces de grives. Elle est aujourd’hui peu pratiquée, essentiellement dans l’Aveyron et en Lozère.
La tenderie
Cette chasse se pratique dans une soixantaine de communes des Ardennes. Il s’agit d’une forme de chasse au collet, appliquée aux oiseaux. En effet, il s’agit de capturer l’oiseau au moyen de lacets en crin de cheval, système installé au niveau d’une branche ou au sol.
L’oiseau vient se percher sur la branche horizontale et, attiré par les baies disposées à son attention, passe la tête à travers le nœud coulant puis, lors de son envol, se pend.
Comme pour la chasse à la tendelle, celle-ci vise les quatre espèces de grives et le merle noir mais également le Vanneau huppé et le Pluvier doré. Elle se déroule lors de la migration post-nuptiale, en octobre.
La chasse à la glu
Dernière chasse traditionnelle évoquée dans cet article mais non des moindres : la chasse à la glu. Elles se déroulent dans 5 départements : Alpes-Maritimes, Bouches-du-Rhône, Var, Vaucluse et Alpes-de-Haute-Provence.
Le principe est bien plus simple que les tenderies : il s’agit de recouvrir de colle des tiges en bois ou de petites branches d’arbres. Les oiseaux (merle noir et grives) coincés par la glu sont censés être capturés vivants. Une fois placé en cage, l’oiseau deviendra alors un appelant : son chant aidera les chasseurs à attirer et à tuer d’autres turdidés. Ils doivent être libérés vivants à la fin de la saison de chasse.
En quoi ces chasses traditionnelles sont-elles problématiques ?
Tout d’abord, même si des quotas ont longtemps été appliqués à ces chasses, les effectifs prélevés restaient aberrants au regard de la mauvaise santé des populations d’oiseaux concernés. Rappelons que selon une étude menée conjointement par le CNRS et le Muséum National d’Histoire Naturelle, l’Alouette des champs a vu ses effectifs chuter de 33% en 15 ans. Maintenir une pression de prédation sur ces espèces en déclin est un non-sens et menace gravement leur survie.
Autre point particulièrement important à souligner : aucune de ces chasses n’est sélective. Certes, l’utilisation d’un appelant favorise l’arrivée d’oiseaux de la même espèce que l’appelant. Mais n’importe quel oiseau protégé peut se retrouvé englué, écrasé par une pierre ou pendu par un nœud coulant.
Pourquoi ces chasses « traditionnelles » ont-elles fait parler d’elles ?
Les chasses dites « traditionnelles », et notamment la chasse à la glu, se sont régulièrement retrouvées au cœur de l’actualité environnementale. Pour rappel, la directive européenne « Oiseaux » de 2009 interdit les techniques de capture massive d’oiseaux sans distinction d’espèces. Une dérogation est cependant possible « à condition d’être dûment motivée et dès lors qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante » pour capturer certaines espèces d’oiseaux. Sur ce principe, à chaque saison de chasse, le gouvernement français de l’époque prenait des arrêtés, dits « arrêtés cadres », autorisant ces chasses traditionnelles, dans certaines régions, en instaurant des quotas d’individus chassables. Les associations de protection de la nature attaquaient alors ces arrêtés afin qu’ils soient immédiatement suspendus.
En 2023, après des années de bataille judiciaire, il semblerait que la menace des chasses traditionnelles sur des populations d’oiseaux fragilisées s’éloigne enfin. Sollicité par la LPO, le Conseil d’Etat a ordonné le 24 mai 2023 l’abrogation de trois arrêtés-cadres :
- L’emploi des gluaux pour la capture des grives et des merles destinés à servir d’appelants dans les départements des Alpes-de-Haute-Provence, des Alpes-Maritimes, des Bouches-du-Rhône, du Var et du Vaucluse.
- La tenderie aux vanneaux et la tenderie aux grives dans le département des Ardennes.
Comme il l’avait déjà précisé dans plusieurs décisions d’annulations précédentes, le Conseil d’Etat a considéré que ces méthodes de chasse sont contraires au droit européen et à la fameuse Directive « Oiseaux ».
L’incertitude planait encore sur deux chasses, la capture de l’Alouette des champs au moyen de pantes (Gironde, Landes, Lot-et-Garonne et Pyrénées-Atlantiques) et la capture de l’Alouette des champs au moyen de matoles (Landes, Lot-et-Garonne et Tarn-et-Garonne). Le gouvernement a en effet pris un nouvel arrêté cadre le 4 octobre 2023, immédiatement attaqué par la LPO, devant le Conseil d’Etat.
Par une décision rendue ce lundi 6 mai 2024, le Conseil d’État a jugé que les arrêtés n’étaient pas conformes à l’article 9 de la directive européenne du 30 novembre 2009. Une décision qui ressemble, espérons-le, au clap de fin pour les chasses traditionnelles en France.
Vous avez trouvé un oiseau englué ? Parce que les conséquences sur son organisme peuvent être nombreuses (plumage détérioré, os brisé, contaminations à la glu et aux solvants…), voici un article avec quelques conseils !
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Sources et recommandations:
- Crédits photographiques (dans l’ordre d’utilisation) : gilgit2, Mick Sway,
- Photo chasse à la glu: « Ces chasses traditionnelles que les défenseurs des animaux voudraient voir disparaître«
- Sites: www.oiseaux.net et LPO
- Dessin tendelle et tenderie, photo tenderie aux grives: www.grives.net
- Image à la Une: Nicolai Dürbaum